Le "Départ" de Pierre

de Paul Doncoeur, "La Route" juillet 1944

C'est fini. Le Christ mort et ressuscité a mis un terme à sa présence visible. "Il est bon pour vous que je parte", leur avait-il dit à la Cène. Maintenant vous marcherez tout seuls. Vous allez vous disperser dans le monde entier. Il vous faudra ouvrir votre propre Route. Vous n'aurez plus le réconfort du Chef visible ni des compagnons fraternels. Vous êtes maintenant des hommes faits! En avant!

Ça s'est passé au Lac de Tibériade. A l'endroit sans doute où, deux ans plus tôt, il les avait appelés à le suivre, laissant leurs filets et leurs barques. Un autre jour, ils les avait choisis entre tous les disciples pour diriger les trois équipes de routiers. Pendant deux ans, il les avait entraînés, instruits, endurcis à la Route, mâtés dans leurs défauts pour en faire des Routiers accomplis.

Aujourd'hui c'est leur "Départ".

Relisez ce beau dernier chapitre de Saint Jean. La dure nuit à pêcher sans rien prendre. A l'aube, l'apparition de Jésus sur le rivage. Sur son indication, cette pêche inespérée, à pleins filets. Exactement comme quand il les avait une première fois appelés à devenir pêcheurs d'hommes.

Mais ici un dénouement solennel.

Autour du feu qu'il avait allumé et où cuisait un gros poisson, les voilà les compagnons. Ils sont sept.

Quand il les a servis, quand ils ont une dernière fois mangé fraternellement ensemble, tout à coup le Chef appelle Pierre et par trois fois l'adjure de proclamer son amour. Oui ou non, peut-il compter sur son dévouement total?

Pierre sait qu'il l'a renié. Si cette sommation lui est atrocement douloureuse, elle est nécessaire pour qu'il sache bien qu'il ne doit pas compter sur lui-même, mais sur la grâce seule.

Alors, gravement, Pierre déclare, face au Christ, face aux compagnons, que Oui, il l'aime absolument.

Trois fois interrogé, trois fois il l'a répété.

Alors Jésus, solennellement, ouvre la voie devant Pierre. C'est le monde à conquérir. Au bout c'est le martyre certain. Mais ce n'est plus l'heure de trembler. Le Christ lui-même prend la Route et d'une voix qui commande : "Suis-moi". Pierre est debout et prends son bâton.

Il a comme une hésitation à se voir tout à coup seul sur la Route. Il s'est retourné vers Jean, le jeune et ardent compagnon. "Et lui, Seigneur", demande-t-il à Jésus.

Mais impérieusement le Maître montre la Route. Qu'importe le reste. Il faut marcher en avant, tout seul. "Laisse-moi, dit-il à Pierre, envoyer Jean où je veux. Toi, suis-moi!" Et l'entraînant, il disparaît.

Pierre a marché jusqu'à Rome. Pierre a marché jusqu'à sa croix à Lui. Il y a retrouvé Paul. Tous deux sont morts en vrais Routiers. que ce soient tes saints Patrons de Route, tes compagnons. A la vie, à la mort.