Une âme de Routier : Pierre Rastoul

Pierre Rastoul est mort le 31 juillet 1934 avec son frère Benoît lors d'une sortie au pic de l'étendard (Savoie) à

3464 mètres d'altitude. Ils ont été pris dans une tempête.

Pierre était Routier d'un Clan SdF de Clamart près de Paris. Il avait 21 ans.

Neuf jours avant sa mort, il écrit la lettre ci-dessous à un routier de son Clan.

Veurey, 22 juillet 1934.

Mon cher P.,

Je veux t'écrire un petit mot pour te dire que je ne t'oublie pas malgré les 600 kilomètres qui nous séparent. Comme tu le sais déjà je suis actuellement à Veurey, en vacances, dans un panorama splendide et familier de vallée alpestre, ayant pour horizon des sommets de plus de 3.000.

Mes vacances me permettent en outre d'assister chaque jour à la Sainte Messe, que je sers d'ailleurs. Ce m'est une occasion excellente pour penser à tous les frères routiers, et pour prier pour eux, tout spécialement pour quelques-uns, et pour toi en particulier.

J'espère que vous avez fait du bon travail à la réunion de jeudi ainsi qu'à la sortie d'aujourd'hui. Je compte sur toi pour animer de bonnes sorties de fin de semaines, semblables à celles que nous faisions l'an dernier en septembre. Tu sais qu'il n'y a rien de tel pour faire piger la Route ou remettre dans la note, que ces sorties de quelques "fanas". Tu sais aussi combien je serais heureux de te voir au camp avec L. Ce serait pour lui une découverte splendide et pour vous deux une digne fin de l'année 33-34, et le meilleur début pour 34-35.

De toutes façons, que tu puisses ou non, venir avec nous, fais "de la route" pendant les vacances, et ne crains pas d'avancer hardiment; car, comme Saint Paul le disait dans l'Épitre de ce matin, celui qui n'avance pas est bien près de reculer et de tomber. Nous ne pouvons pas nous arrêter, nous stabiliser. Nous devons toujours marcher. Il s'agit seulement de choisir la bonne route...

Nous devons rejeter tout ce qui fait de nous-même le centre du monde. À quoi bon un travail, dont tout résultat sera détruit dans cinq ou cinquante ans ? Pourquoi nous rabaisser à ce niveau qui n'es pas le nôtre ? Nous devons au contraire, travailler pour l'éternité, pour la seule réalité durable, la seule d'ailleurs que l'on soit sûr d'atteindre avec de la bonne volonté.

Le choix du but nous commande la route à prendre ; c'est la dure route montante, au sol ferme de rochers, qui va droit à ce but sans souci de la pente, et sans prévoir de points d'arrêts.

Pic de l'étendard 3464m.

Lançons-nous avec confiance sur cette route rude. Dieu est avec nous, et comme le disait ce matin Saint Paul, Il ne nous laissera jamais atteindre par une tentation supérieure à nos forces, mais il nous donnera toujours la force d'y résister victorieusement.

Lançons-nous y aussi avec ardeur et foi, car nous sommes les descendants des premiers disciples que N.-S. envoya par les routes de Galilée, pour l'annoncer à tous surtout aux petits, aux pauvres : tâche immense, tâche splendide.

Lançons-nous enfin sur cette route énergiquement, sans regarde en arrière, en abandonnant tout ce qui pourrait nous retenir, comme ses Apôtres à qui Il recommandait de n'emporter ni bourse, ni bâton, ni sandales de rechange... comme ce jeune homme riche à qui Il disait : Vends tous tes biens et suis moi.

Si nous marchons ainsi comme Dieu nous l'a commandé, nous sommes sûrs d'arriver au but poursuivi : Il nous a promis de nous suivre pas à pas, de nous guider, de nous soutenir, de nous donner tout le reste par surcroît, et enfin de nous rendre au centuple tout ce que nous aurions sacrifié en son nom.

Pour cela ce qui nous manque, c'est la confiance. Nous n'avons pas assez de foi, pour nous en remettre totalement à Lui. Nous nous donnons, mais nous gardons pour nous une partie de nous-mêmes. Nous voulons que notre action produise des résultats tangibles, humainement visibles, et intelligibles.

L'exemple du monde actuel nous montre combien est vaine une action purement humaine, et combien les résultats sont contraires aux désirs mêmes de ceux qui abordent cette action.

Nous sommes encore trop près de cela parce que nous n'avons pas su nous donner assez pleinement et assez définitivement. Sans se décourager des échecs, et sans abandonner à cause des peines qui nous frappent, recommençons encore mieux qu'avant. Aucun effort ne sera perdu pour nous. Nos mérites seront d'autant plus grands que les tentations, difficultés seront plus fortes. C'est pourquoi profitons de cette période de vacances si propice aux chutes pour monter encore.

Pour cela, sachons profiter de l'aide que peuvent nous accorder les circonstances, marchons à fond dans la "Route" qui nous stimule si bien, et aidons-nous mutuellement par nos prières.

Comptant sur toi, je te suis tout acquis par avance, et tiens à te l'assurer en te serrant cordialement la main gauche.

Pierre Rastoul,

SR 1ere Clamart, Clan Saint-Paul