Christophe Carichon, historien du Scoutisme, dans un entretien à l'Homme Nouveau à l'occasion de la journée mondiale du Scoutisme (22 février 2023), lançait un pavé dans la mare:
"On a pu critiquer souvent les Scouts de France réformés pour leur « ouverture » à outrance. Tout aussi dommageables me semblent être ces troupes de centre-ville des mouvements de scoutisme traditionnel qui cultivent l’entre-soi et la reproduction sociale entre familles de la bonne société CSP +"
L'entre-soi et la reproduction sociale de la bonne société que cite Christophe Carichon peuvent sûrement être assimilés à l'esprit dit "bourgeois".
Quelle serait l'origine de l'embourgeoisement de certains groupes scouts catholiques non réformés?
Il y a peut-être un lien entre l'embourgeoisement de ces groupes scouts et celui de l'Eglise en France.
Le manque de prêtres a poussé les paroisses à se regrouper et à se recentrer sur les grandes églises des centres-villes plus bourgeois. Les habitants des faubourgs et des campagnes étant quelque peu délaissés, il n'est pas étonnant de retrouver majoritairement les enfants de cadres supérieurs dans les mouvements de scoutisme implantés sur ces paroisses.
Mais est-ce la seule explication à cette vie en vase clos?
A l'origine, le scoutisme catholique s'est aussi développé à partir de paroisses dites "bourgeoises" de centres-villes (St Honoré d'Eylau du XVIe arrondissement de Paris par exemple) et pourtant, ce scoutisme cultivait-il l'entre-soi et la reproduction sociale?
Cela ne semble pas être le cas.
Les premiers scouts catholiques, provenant pourtant des classes sociales supérieures, étaient perçus comme des originaux dans leur propre milieu avec leur culotte courte, leur chapeau pas très français et leur vie dans les bois (1). Le scoutisme n'était d'ailleurs pas souvent au goût des parents ni des prêtres du patronage à qui il faisait concurrence. C'est probablement grâce à cet esprit anti-conformiste originel que le mouvement naissant réussit à attirer un public plus large que celui des paroisses auxquelles ils étaient rattachés.
Pierre Joubert, le grand dessinateur du scoutisme catholique, le décrit bien dans son album "Souvenirs en Vrac": les jeunes rejoignaient d'abord une troupe pour les activités en pleine nature et les grands jeux à thème et non parce que la troupe était de telle ou telle paroisse. La mixité sociale serait alors assurée si on prend la peine de respecter ce qu'est le scoutisme : "une fraternité de campeurs" (2).
Or, où peut-on voir les scouts aujourd'hui? : sur les parvis pour vendre des gâteaux, au presbytère quand il fait un peu froid, avec l'étendard lors de la procession de la Messe de rentrée paroissiale, à la distribution des petits fours lors de la fête de l'église, dans les rues pour vendre des calendriers... Et quand la sortie campée dans les bois s'annonce enfin, il y a des chances pour qu'un problème de tente qui fuit ou de feu qui ne démarre pas vienne l'écourter. Bref, pas de quoi exciter l'envie des jeunes éloignés de l'Eglise ni même celle des scouts... tentés alors par l'absentéisme.
Pour sortir de cet entre-soi sclérosant et renouer avec l'élan missionnaire, il semble impératif de retrouver la rude vie dans la nature et les techniques qui la permettent. Seule cette aventure sans concession fidèle à l'esprit de Baden-Powell permet de gommer les classes sociales et de révéler les aptitudes profondes de chacun, rat des villes ou des champs, grenouille de bénitier ou joyeux drille.
(1) Paul Coze (1903-1974), né d’une mère Princesse Russe, est souvent désigné comme le 1er Scout de France de St Honoré d'Eylau et un acteur majeur du début du scoutisme Catholique Français. C'était pourtant un parfait original: ce passionné de culture amérindienne était aussi à l'aise dans les dîners mondains parisiens qu'au milieu des peaux-rouges d'Amérique dont il explora les réserves à de nombreuses reprises. Au début des années 1930, en tant que Commissaire National Eclaireur, il blâmait déjà la "troupe qui passerait ses sorties à des services d'ordre, des processions, des kermesses, des visites de pauvres" (Lettre de Paul Coze à X, 5 mai 1934, Fonds Coze à Riaumont).
(2) Définition du scoutisme dite "de Chamarande" par le Père Sevin:
Le scoutisme est un complément d’éducation. Pour base il prend la religion – pour nous la religion catholique – pour méthode caractéristique, l’étude de la nature, qu’il pratique dans le cadre d’une fraternité de campeurs, et il a pour but d’aider l’enfant, garçon ou fille, à développer personnellement sa santé, son habileté professionnelle, et surtout à devenir un caractère et à prendre l’habitude du service et du dévouement : ainsi, le jour venu, se sera-t-il préparé à être un bon citoyen des républiques de ce monde et du royaume de Dieu.
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