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Ne quittez pas le Scoutisme...

"Ne quittez pas le Scoutisme", c'est le dernier message de Joël Anglès d'Auriac RS, 22 ans, à son clan clandestin de routiers au STO en Allemagne, 3 heures avant sa décapitation pour trahison à Dresde le 6 décembre 1944.

C'est l'appel vibrant d'un Chef de Clan qui est allé jusqu'au bout de son engagement.

Ne quittez pas le Scoutisme... Restez des Scouts... Restez des Routiers...

Joël nous rappelle sans concession que le scoutisme, oeuvre d'éducation dépasse le cadre de la jeunesse et invite chaque routier à vivre son scoutisme sur la route des hommes.



Pourtant, en mars 1945 dans la revue "Le Chef" (p.298), le général Lafont, appelait les routiers ayant pris leur départ à faire preuve de nuance et à prendre de la distance par rapport au scoutisme :

Après le Départ, le temps est venu de l'option et de l'action politique. [...]. Mais quand ils se lancent alors dans la chose publique, ils ne doivent plus avoir le Scoutisme comme référence : ce sont des hommes, avec des idées et des sentiments personnels, avec un complexe familial et social, avec surtout une valeur professionnelle, et c'est cet ensemble qui dictera leur choix. Qu'ils restent fidèles à leur idéal scout, on doit le souhaiter ; qu'ils se réclament trop de lui et s'enferment dans un "scouticisme" justement dénoncé, ce serait inadmissible. Pour reprendre une formule connue, ils devront désormais agir EN SCOUT, mais nullement en EN TANT QUE SCOUT.

Personnellement, je ne comprends pas cette nuance mais la conséquence est immédiate : elle instille la conviction dans le coeur des routiers que tout ce scoutisme n'est qu'une aventure lyrique pour petits garçons. Mais il faut l'admettre, l'approche du général Lafont est largement partagée, encore aujourd'hui. Elle vient de la peur du politique : il s'agit d'éviter toute inclination politique au sein du scoutisme, mouvement purement éducatif. Mais l'action éducative n'est-elle pas déjà action politique même si elle se doit d'être "neutre" de tout parti ou de toute position partisane ?

Ces chefs qui cloisonnent strictement le scoutisme à un mouvement éducatif en évoquant la dérive du "scouticisme" d'Emmanuel Mounier dépasse peut-être sa pensée. Pour E. Mounier, le "scouticisme" est un scoutisme qui se prétendrait "à être une doctrine générale et complète de vie". Il a raison : le scoutisme ne remplace pas le rôle éducatif de la famille, ni peut se prétendre être une doctrine complète de vie repoussant celle de l'Église ou des sciences humaines. La Loi Scoute est cependant un magnifique outil, qui avec d'autres, aide petits et grands à mettre leurs vies en adéquation au Décalogue et aux Évangiles. Joël Anglès d'Auriac qui remet ses routiers face à leur Promesse en montant à l'échafaud n'a vraiment rien à voir avec ces "faux adolescents barbus, chansonnants et bêtifiants" que fustige E. Mounier.

Depuis toujours, le scoutisme a eu besoin de ces hommes forts, aux hautes vues spirituelles, intellectuellement aguerris, acquis à sa cause. Ils n'ont pas peur de se définir comme scout car ils y trouvent des leviers personnels pour une vie saine (et sainte!) au service d'une puissante méthode éducative pour enfants, adolescents et jeunes hommes.

Dès les années 1930, des chefs comprennent le besoin pour le scoutisme de garder un contact avec les hommes formés dans ses rangs et établis dans la vie. Il s'agit de trouver les cadres du mouvement mais aussi de pénétrer la société d'un certain idéal scout. Le mouvement souhaite assurer le service après-vente et éviter de voir des générations d'adultes remiser leur triple Promesse au grenier de leur jeunesse!

Pierre Delsuc (CG SdF 1940-1946) nous livre ce but sans nuance dans son livre Plein-Jeu de 1945 :

Le but du Scoutisme, sera de pourvoir d'un ou plusieurs scouts, chaque commune, chaque milieu social, chaque mouvement ou oeuvre utile, pour y influer, pour les conduire par une vie professionnelle compétente, par l'exemple d'une vie familiale saine et digne. Il [le scoutisme] croit que de tels hommes vivant d'après la Loi Scoute contribueront effectivement au bonheur et à la grandeur de la Communauté Française, car cette Loi ainsi diffusée, maintenue, doit faire régner l'Ordre. [...] L'Ordre, au fond, c'est la Loi de Dieu régnant parmi les hommes.

Pour arriver à ces fins, le commissaire de la Porte du Theil nous donne quelques idées dans la revue "Le Chef" de mars 1938 :

De même que le corps ne peut subsister longtemps sans nourriture, l'âme s'éteint si elle ne puise pas régulièrement aux sources de vie qui lui sont propres. Et la poussée du matérialisme contemporain n'a pas d'autre cause. Il ne faut pas plus de quelques mois, de quelques semaines d'abandon pour transformer un routier en un homme comme un autre. [...]. La vie scoute est morte en lui. [...]. Qui pense en scout, qui agit normalement en scout et reste lié à l'Association, qui fait de sa vie un service et le remplit en scout, celui-là est scout authentique et non pas seulement un ancien, sous prétexte que son service n'est pas exclusivement dans le mouvement. Mais ceci suppose une vie de patrouille. [...]. Qu'est-ce à dire pour ceux qu'on appelle les "anciens" ? En premier lieu qu'ils n'entretiendront le scoutisme en eux qu'en se regroupant en des sortes de patrouilles vivantes.

C'est dans cette ligne que les Scouts d'Europe réfléchissent aujourd'hui à proposer une structure et des activités aux routiers établis dans la vie pour assurer l'esprit de clan et d'entraide qui maintiendra la flamme. À l'inverse, les Scouts Unitaires de France ont un positionnement proche de celui du Général Lafont: ils n'attendent pas des anciens qu'ils restent scouts mais qu'ils deviennent les parents des futures générations de scouts.

Il est toujours étonnant de voir les sensibilités divergentes originellement présentes chez les Scouts de France se retrouver bien distinctement réparties entre nos deux grands mouvements unitaires actuels.

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