Ma dernière expérience me pousse à partager quelques réflexions sur l'organisation des Patrouilles Libres (PL), tête de pont de la branche "éclaireurs" des mouvements de scoutisme unitaire.
A l'origine (dans les années 1950), une PL était souvent créée autour d'un scout expérimenté de 15-17 ans qui avait pu précédemment bénéficier d'une troupe et s'était retrouvé éloigné, par les aléas de la vie, de toute structure scoute. Avec son nouveau "gang" d'amis avec qui il "traînait" déjà, en tant que CP autonome, il lançait une PL rattachée à son mouvement d'origine et l'aventure se propageait. Si le vent était bon, une deuxième patrouille naissait bientôt et l'ouverture d'une troupe pouvait être alors envisagée. En 1956, il y avait 3000 éclaireurs dans les PL SdF (Scouts de France). Avec des taux de natalité en hausse depuis la fin de la 2nde guerre mondiale, l'Equipe Nationale Eclaireurs (ENE) SdF s'attendait à une grande déferlante nécessitant un grand nombre de chefs et d'assistants de futures troupes. C'est à ce moment, que Michel Menu (1916-2015) et Jean Lagarde (1923-2006) lancent le "Cadre Vert".
"Le Cadre Vert sera donc, pour la Branche Eclaireur, l'organisation des cadres de la troupe. Le Cadre Vert sera en même temps un système de qualification destiné aux hommes de 18 à 35 ans". Alors que la plupart des chefs et assistants avaient jusqu'alors entre 18 et 23 ans, l'ENE élargit significativement le vivier de cadres disponibles en pariant sur les jeunes professionnels. Ces hommes, déjà mariés et intégrés socialement, prennent après formation des engagements de plus longues durées (3-4 ans) à la têtes des Troupes qui doivent se constituer.
Le "Cadre Vert" disparaît après la réforme Rangers-Pionniers de 1964 mais 5 000 cadres "Eclaireurs" auraient été ainsi formés.
On peut quand même se poser quelques questions. Avec plus de 400 PL SdF dans les années 50, et donc 400 CP capables, comment expliquer qu'une partie de ces CP n'aient pas eux-mêmes constitué le vivier nécessaire pour prendre la tête des troupes constituées de leurs anciennes PL? L'ENE ne les aurait-il pas perdus à l'âge de 17-18 ans au moment de les guider vers un clan de routiers et de les former à devenir cadre de la branche verte? Les PL ne sont-elles pas restées trop éloignées les unes des autres géographiquement sans capacité de se rassembler pour constituer des troupes?
Ces questions restent ouvertes.

Quoi qu'il en soit, en ce début de 21ème siècle, le gang d'amis se retrouvent plus facilement virtuellement sur les réseaux sociaux ou sur les jeux en ligne que sur la place du village ou à l'arrêt de bus. A part dans certaines banlieues, les jeunes français semblent avoir moins de facilité ou moins d'intérêt à se regrouper physiquement autour d'un leader... qui est un caractère qui vient à se raréfier également (il est d'ailleurs peu mis en valeur par l'Education Nationale qui privilégie le "groupe").
Quant à la quantité de scouts expérimentés, la source se tarie : il y avait 50 000 éclaireurs SdF en 1956... Les SUF et l'AGSE regroupent ensemble entre 12 000 et 13 000 éclaireurs en 2022.
Dans ces conditions, une PL ne naît qu'au forceps entre les mains peu habiles de parents désireux de proposer la méthode scoute à leurs enfants et guidés à distance par des responsables PL débordés et éloignés des considérations locales.
Si la naissance de la patrouille est difficile, le déroulement de l'année scoute est tout autant hasardeux. Le CP souvent inexpérimenté, malgré des formations de qualité et un suivi à la culotte de la part de chefs nationaux, peut rencontrer des difficultés pour appliquer sur le terrain les conseils prodigués. Les meilleures préconisations ne remplacent pas l'expérience de terrain acquises petit à petit durant 4 ou 5 ans de pérégrinations dans de bonnes troupes (les CP des PL des années 50 provenaient souvent de troupes raideurs).
Pour certains, cela "marche"... Oui paraît-il... mais il faut aller voir ce qui se cache derrière... Pour éviter les soucis, on limite le nombre d'activités, le nombre de kilomètres, le nombre de scouts parfois, on évite bien les WE en période hivernale ou dans des lieux reculés, on s'abstient de vélos et on attend patiemment le camp de pâques et le camp d'été organisés par le réseau national ou une troupe d'accueil.
Si Michel Menu n'avaient pas les chefs et assistants de troupe nécessaires pour transformer ses PL en Troupe, aujourd'hui, nous n'avons plus à disposition les Chefs de Patrouilles Libres prêts à faire pratiquer le scoutisme unitaire avec ses composantes techniques et spirituelles et à assurer la cohésion d'un groupe de 7 garçons d'âges et de caractères différents.
On en revient alors à cette idée de "Cadre Vert" permettant le développement géographique du scoutisme par l'intermédiaire des PL. A l'instar d'une troupe, les PL formant réseau ont besoin d'une maîtrise constituée d'un chef et d'assistants. Si le chef est délocalisé, chaque PL devrait être suivie par un assistant, adulte sans limite d'âge (par exemple un parent d'un des éclaireurs), désireux d'un engagement de plusieurs années au service de la jeunesse. Après formation, il accepterait d'aider le CP lors de la préparation des activités mais aussi, si nécessaire et pour un temps plus ou moins long en fonction des besoins, d'accompagner la PL sur le terrain pour montrer les bonnes pratiques et initier le CP à son rôle. Moins de conseils et de contrôles mais plus d'exemples pratiques en action sur le terrain! Ce suivi de proximité étant assuré par des assistants formés via les Camps Ecoles Préparatoires de l'association, le chef de réseau est alors déchargé et peut se concentrer sur la formation et l'investiture des CPs, la préparation des camps et le développement général du réseau par la coordination de ses assistants locaux.
Certains objecteront que l'on s'éloignerait de l' "éducation du jeune par le jeune", prisée notamment par les SUF. On pourrait facilement répondre que le scoutisme a été créé par un jeune retraité de 50 ans! Ne nous leurrons pas, les adultes et leurs relations sont nécessaires pour initier et garantir l'expansion des mouvements scouts. Toutefois, il serait mal venu de les voir arriver à la tête de troupes bien implantées qui doivent avoir la capacité de fournir, à moins de graves dysfonctionnements, les futurs chefs de 18-23 ans nécessaires : c'est une dérive possible qu'il faut prévenir.
Si les PL constituent l'avant garde de la branche verte, il n'est pas incohérent que leur réseau nécessite une maîtrise spécifique, plus mature, coordonnée et pérenne pour assurer le succès de cette opération de grande échelle. Sans "Cadre PL" et à moins de trouver un ancien CP ayant appris son "métier" dans une troupe de qualité, les fondations de PL ne seront que des entreprises énergivores sans lendemain.

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